ESPRIT SHAMAN
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Les images se multiplient, fugaces et vives,
Insaisissables demeures des richesses éternelles
D'un esprit qui contemple loin du temps
Tous les mondes possibles
L'Esprit Shaman
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Le chamanisme, il faut le créer, l'inventer. Il n'existe pas en tant que formule, en tant que temple, en tant que système. C'est une réanimation permanente du vivant.
Luis Ansa, le Secret de l'Aigle

.L'homme succombera, tué par l'excès de ce qu'il appelle la civilisation. J. H. Fabre



Le pouvoir sonore des cavernes




Les grottes de nos ancêtres des temps préhistoriques sont loin de nous avoir révélées tous leurs secrets, et de découvertes en découvertes leur mystère grandiose se soulève parfois un peu plus, comme un témoigne les études paléontologiques sur  La dimension sonore des grotte ornées.





Le son fût le premier instrument de communication et de relation entre les hommes et c'est à partir de l' étude de son utilisation dans les grottes que s'établit l'origine de l'utilisation des grottes comme instruments sonores à part entière:  

Quelques extraits de l'ouvrage:

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Le son, si tant est qu'on puisse en définir l'origine a d'abord permis aux premiers hominidés d'évaluer les distances, que ce soit par la voix seule ou par d'autres moyens de la relayer, jouant des phénomènes d écho et de résonance. Prendre ainsi conscience du pouvoir et de la portée de sa propre voix et de ses modulations en fonction de 1'espace environnant a déterminé des choix de matériaux et de formes adéquates.

Sans doute l'imitation de sons naturels, de cris animaliers constituait-elle le tout premier répertoire « musical » humain, dénotant une volonté d'agir sur l'ordre naturel. La relation à 1'animal et la place de celui-ci en tant qu'entité protectrice approchée par la magie et la danse sont restées au long des siècles presque inchangées, du moins pour des groupes sociaux appréhendant encore nature et animaux avec respect, dans une relation d'échange et non de domination stérile.

En outre, les instruments primitifs s'offraient eux-mêmes comme déjà prêts dans la nature, soit à l'état brut, soit façonnés par un quelconque phénomène : plumes creuses, sifflets en phalanges d'animaux, conques parois de stalactites composant des orgues, etc.

[...]


C'est à l'issue dune longue et patiente exploration des sons à travers 1'opposition des timbres et leur accouplement d'abord par la voix et la recherche d'harmoniques dans la cavité buccale, puis en les sélectionnant selon la longueur d'une anche flexible ou dune corde, que s'établit un dispositif de résonance : les doigts en viennent à relayer la bouche pour explorer les intervalles, susciter la répétition, reconnaître 1'octave. Dès que se diversifient les cordes, la pensée musicale s'élabore, ou du moins la pensée elle-même devient autre: elle prend, par la grâce des sons un envol qui remmène vers l'inspiration – révélation dune voix autre, sublimée par la musique créée, qui, venue de l'âme, s'adresse à l'âme.

Une fois conçu l'instrument, cette sorte de double de soi cet obier composite nourri de tradition, l'évolution se fait par comparaisons, perfectionnements et diversifications successives, avec une force d'autant plus grande que ce médium instrumental permet de traduire la pensée en quelque chose d'autre –visible, palpable et audible.

Dès lors se révèle possible pour l'homme le dialogue avec cet interlocuteur inventé de toutes pièces, à force d ingéniosité: cette chose vivante, née de lui et en dehors de lui, répond enfin à la voix, au premier cri aux tâtonnements et aux inventions, par l'éveil du chant : il a suscité la musique dans le cœur de l'homme.

Ainsi commence à prendre forme l'élaboration d'une musique des cavernes que nos lointains ancêtres - et pourtant si proches- nous ont transmis avec leurs grottes et la possibilités de recréer l’expérience sonore qu'ils découvrirent et élaborèrent en ces lieux, tel des sanctuaires magiques.


[...]


La musique des cavernes

L'homme préhistorique aura, dès les origines, perçu de façon impressionnante ce phénomène de résonance dans les cavernes où il évolue : en ce lieux d'absolu silence et de totale obscurité, où le seul bruit de l'eau qui goutte se répercute de façon démesurée, on imagine l'effet que devait produire la voix, humaine ou animale, amplifiée par cette caisse de résonance minérale. Les grottes ne sont-elles pas comme d'immenses tuyaux sonores, dont les voûtes naturelles évoquent parfois, par leur acoustique, une chapelle romane? L'homme des cavernes vivait dans des lieux sonores privilégiés que l'on peut considérer comme les premiers instruments de musique dont ait disposé l'être humain, instruments mis à sa disposition de façon naturelle, avant qu'il ne déploie son ingéniosité dans des manipulations en vue de création sonore.

Des expériences acoustiques récentes, menées à l'initiative de Iégor Reznikoff, démontrent en effet que les peintures et les graphismes pariétaux sont le plus souvent liés à ces phénomènes de résonance. On a pu ainsi établir une incidence du son sur l'image qui, loin d'être un graffiti placé au hasard, selon la fantaisie de son auteur, apparaît bien comme un signe codé avec précision, établissant des zones privilégiées en rapport avec l'écho, parfois au moyen de traits ou de pointillés émanant de la bouche de la personne ou de l'animal représenté. Cette corrélation entre le son et le signe peut remonter dans le temps jusqu'au au Moustérien du Paléolithique moyen, époque de l'Homo sapiens neandertalensis, soit quelque 100 000 ans.

Ainsi continue la découverte d'un monde extraordinaire, celui de l'utilisation des grottes comme instrument de musique dans lequel l'homme évolue, devenant une partition au sein d'un matrice qui l'enveloppe et lui renvoie en miroir les notes qu'il émet, entamant ainsi des possibilités d'explorations vibratoires probablement incommensurables...

Trois grottes de l'Ariège – celles de Niaux, du Fontanes et du Portel – ont fait l'objet d'une véritable investigation sonore, comme on explore un instrument de musique, découvrant ses propriétés et sa tessiture. Ces expériences ont porté principalement sur la durée et l'intensité des sons, et plus généralement sur la modification de la résonance, en fonction de leurs points d'émission.

Si la grotte du Fontanes présente des données sonores trop peu différenciées pour être signifiantes – son entrée d'origine a été obstruée par des éboulis tardifs et postglaciaires, faisant d'un conduit ouvert un conduit fermé –, la grotte du Portel, constituée de trois galeries indépendantes, et celle de Niaux, particulièrement vaste, rendent un ensemble de résultats assez clairs. La configuration de ces cavernes, à quelques exceptions d'aménagements près, est restée inchangée depuis l'âge paléolithique — même si des variations dans l'épaisseur des parois ou au niveau du sol, dues aux dépôts de sédiments, ont pu intervenir, modifiant la hauteur sonore mais non la répartition des fréquences. On peut donc considérer que la résonance de ces grottes est restée pratiquement aujourd'hui telle qu'elle se présentait à l'époque où elles furent habitées et décorées.

Les études acoustiques entreprises se sont faites à la voix, sans qu'il ait été besoin de la pousser, restant dans un ambitus restreint d'une quinte. Il s'agit donc d'une vibration minimale, émise par le corps et décuplée par la résonance propre à la grotte, rendant des harmoniques selon les fréquences émises. Ce parallèle entre la vibration du corps et celle de la grotte est essentiel puisque c'est l'homme qui se place comme élément central de l'expérience, prenant la caverne comme résonateur. Selon sa configuration, la grotte impose certains types d'émission vocale, la résonance se répercutant dans le corps humain soit au niveau du crâne, soit au niveau de la poitrine, ce qui conduit le chanteur à se contenter parfois d'un souffle ténu, l'écho harmonique sur la quinte tenant lieu de repère pour la note fondamentale.

Une fois établie une sorte de carte de résonance de la grotte, grâce à des repères placés le long de la paroi, on remarque que les modifications sonores enregistrées correspondent à une alternance de nœuds et de ventres acoustiques, selon la conformation des lieux. Comme tout instrument de musique, la forme même de la grotte influe directement sur ses propriétés acoustiques. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte : d'une part la sonorité propre au boyau, avec une note fondamentale dominante, comme c'est le cas en certaines galeries – chaque grotte a sa propre tonalité: certaines sonnent en , d'autres en la, ou bien encore en plusieurs tonalités: d'autre part un réseau complexe de résonances, présentant des variations assez importantes – de l'ordre de cinq à six secondes en certains endroits, d'une durée beaucoup plus brève ailleurs–, selon que la résonance vibre de façon spectaculaire ou qu'elle reste plate. Il s'agit là non pas d'écho, mais d'amplification du son en intensité ou en durée.



 Au regard de ces fascinantes découvertes, nous ne pouvons qu'imaginer les expériences auxquelles pouvaient se livrer les hommes préhistoriques dans ces entrailles de la terre mère, les possibilités d’explorations pour induire des changements d'état de conscience, de projection de conscience, de guérison, utilisant la synergie du son avec l'image peinte sur les parois, amplifié par l’éclairage subtil des lampes à huile animant les motifs peint en utilisant le relief de ces parois. Ainsi naquit la grotte sonore...




La grotte sonore

La carte des résonances distingue ainsi un certain nombre de lieux favorables à l'émission ou au renvoi du son. D'autres endroits se caractérisent par une modification ou une amplification sonore allant jusqu'à la saturation acoustique. Enfin certaines zones, générant ou prolongeant le son selon des longueurs précises, sont signalées comme étant des vecteurs d'harmoniques. Il se trouve que les points sonores particuliers ainsi repérés et notés sur un schéma acoustique de la grotte se superposent étonnamment avec une carte établie à partir des données picturales.

La plupart des endroits favorables à l'émission sonore correspondent en effet à la proximité d'une image peinte sur la paroi. En des lieux particulièrement privilégiés pour leur sonorité comme la niche du Camarin de la galerie Breuil, au Portel, le moindre souffle émis résonne de telle façon qu'on est induit à produire des sons graves, semblables à des meuglements, qui retentissent dans toute la galerie de façon impressionnante : or les décors de cette niche sont aussi exceptionnels que les sons qui en émanent, rassemblant en ce seul lieu la figuration de la plupart des espèces représentées dans la grotte. A contrario, le reste de la galerie Breuil présente de nombreuses niches à la fois sans résonance et sans figures ni signes.

Un autre endroit privilégié se trouve à l'extrémité de la galerie Régnault, d'où résonnent toute la galerie dans son ensemble – là où sont figurés des chevaux sur la paroi – et la galerie suivante sur plus de cent mètres où s'accumulent les représentations.

Une question se pose : ces parois ont-elles été choisies en vertu des qualités acoustiques de leur emplacement, afin de valoriser l'image par le son, ou le son en lui-même était-il suffisamment important pour donner lieu à une image? Si les deux hypothèses ne s'excluent pas l'une l'autre, l'incertitude demeure. Restent les endroits où les marques sur les parois ne peuvent correspondre qu'à des données sonores : on a ainsi pu déterminer des points acoustiques signalés sur la paroi en fonction du son – l'expérience se faisant à 1'aveugle, dans le noir, avec le seul son pour guide, afin de déterminer les emplacements sonores supposés, emplacements que l'on retrouve effectivement marqués, souvenu par un simple point rouge lorsqu'une figure plus grande n'est pas envisageable.

Un plan détaillé a été établi de la grotte du Portel, situant avec précision les lieux sonores et les marques, points et images qui y correspondent, avec le descriptif complet des différentes galeries – Jeannel, Jammes, Régnault et Breuil. Parmi les animaux représentés dans la galerie Jeannel, on note la présence d'une chouette qui apparaît à l'issue d'un couloir rectiligne où prédominent le la, correspondant à l'image d'un bison, puis le sol, marqué par des bâtonnets courts et des ponctuations noires, à nouveau le la, signalé par la chouette, suivi d'un sol avec la figuration d'un cheval et une dernière fois un la avec un boviné : la succession des dessins suit donc l'oscillation la-sol-la-sol-la.

Comment nos ancêtres de ces temps lointains interprétaient-ils ces expression sonores sortant d'eux mêmes, et par résonance, des parois des galeries? Ce qui pour nous est interprété en terme de notes définies selon une gamme établie par notre science musicale, comment eux-mêmes vivaient-ils ces sons, quel sens avaient pour eux ces notes, ce que nous appelons notes, mais qui peut-être pour eux étaient de véritables entités sonores, vibratoires, peut être pouvaient-ils dans la pénombre de ces galeries percevoir, voir, les fréquences en terme énergétique, l'énergie, la présence vivante de ces vibrations, entités-son.Comment les expérimentaient-ils en leur âme et conscience, en leur corps et leur psychisme? Y avait-il une logique dans l'émission et de ces notes, pouvaient-ils déjà identifier ces notes de tel sorte qu'ils pouvaient établir une gamme, ou élaborer un connaissance de ces notes comme nous l'avons actuellement? Quel pouvoir le son pouvait-il bien avoir pour l'associer à des représentations d'animaux? Quel mystère et quels secrets ne percera-t-on jamais un jour face aux découvertes de ces lieux de résonance? La grotte paléolithique aurait-elle encore des dimensions qui nous échappent, des niveaux d'utilisation encore plus subtile et magique? L'intuition du chercheur, de ceux et celles dont leurs fibres savent s'imprégner et vibrer avec ces lieux et leur mémoire saura trouver en soi la sacralité de ces lieux et le pouvoir dont ils sont le vecteur pour qui sait en écouter la force intemporelle de leur mystère...



Dans la galerie Jammes, à l'entrée de la galerie des Chevaux, l'apparition de la résonance la, quinte supérieure du , note fondamentale de cette galerie, est marquée sur la gauche par une ponctuation rouge et sur la droite par la figuration d'un petit cheval, rouge également. Un panneau représentant cheval, capriné et cervidés correspond au passage au sol en progressant vers le fond de la galerie, jusqu'à un nœud sonore essentiel situé dans un espace central de résonance où sont visibles un grand signe rouge, un cheval anamorphosé et un personnage ithyphallique. Des ponctuations rouges et des figures multiples décorent le fond de la galerie, où domine la résonance à l'octave supérieure; cette résonance se prolonge sur 115 m, jusqu'à la galerie Jeannel, où elle prend fin nettement devant la représentation de la chouette. Les lieux de résonance sont justement ceux où se concentrent les peintures : des relations harmoniques d'octave ou de quinte relient les divers points sonores et les peintures pariétales, exception faite d'une tierce (fa dièse) figurée dans une niche par le dessin d'un poisson, animal rare dans l'art rupestre.

Les recherches effectuées ont pu aussi déceler l'existence de « portes » sonores — comme celle qui est marquée par la chouette, animal doté comme l'on sait d'une ouïe extraordinaire — ouvrant des espaces d'images à leur suite. Sans doute faudrait-il se pencher sur le rôle symbolique de ces figurations animales par rapport aux résonances qui s'y perçoivent.

En ce qui concerne la galerie Régnault, les résonances ne commencent qu'à partir de la première alcôve dans laquelle apparaissent les premières images : des animaux acéphales correspondent à l'émergence du mi, un cervidé acéphale coïncide avec l'apparition du fa, puis un bison tombant et une tête de bovidé avec celle du si. Plus loin, un goulot étroit résonne en de façon prolongée ; là, sur la voûte, on distingue un point rouge qui ne peut être qu'un signe spécifiquement sonore. Vers le fond, lorsque la galerie se resserre, les figurations se succèdent au rythme d'un autre réseau de résonances : le et le sol sonnent particulièrement, jusque dans la galerie Jammes, et tout spécialement devant le personnage ithyphallique. On remarquera, en ces lieux de forte résonance, la présence de nombreuses figures anthropomorphes.

Les mêmes investigations, menées à Niaux, ont également prouvé que les lieux particulièrement sonores correspondent à des images, certaines marquant de façon significative des emplacements où le son perdure pendant plusieurs secondes. On peut donc en conclure que le choix des emplacements de figures semble avoir été fait cri grande partie en fonction de la valeur acoustique de ces emplacements. En effet, des parois entières restent parfois vides lorsque l'espace correspondant, si vaste soit-il, ne résonne pas. À l'inverse, des lieux de résonance sont marqués et peints même si leur configuration ne s'y prête que difficilement.

La grotte devait être ressentie par ces hommes de la préhistoire comme un organisme vivant, a fortiori si l'espace était exploré dans la pénombre. Cette dimension surnaturelle des lieux devait être perçue à travers l'impressionnant retentissement de la caverne, puis soulignée par l'image qui devenait alors évocation de l'entité représentée et procédé magique, de par sa présence suscitée en ces deux dimensions.

 N'est-ce pas fascinant, interpellant, excitant, toutes ces possibilités offertes à nos ancêtres avec leur voix et l'étude si précise et subtile de l'évolution du son au contact des parois des grottes? Seuls ou à plusieurs, probablement placés en différents points, explorations sonores, chants d'extase, de partage, ou de guérison, et qui sait, bien plus encore peut être, pour peu que l'on mette cet univers sonore des cavernes rendu vivant et vibrant par l'homme en corrélation avec les pratiques chamaniques, les états modifiés de conscience maîtrisés dans certains tribus, ou ayant nous même éventuellement fait l'expérience du pouvoir-son sur notre énergie, notre conscience à travers différentes techniques s’inspirant du chamanisme, utilisant la voix, le tambour, le didgeridoo, la rhombe, la guimbarde ...


La voix et son double

Sans doute les populations du Paléolithique ont-elles expérimenté ces phénomènes de résonance à la voix, dont les vibrations perdurent mieux que toute autre manifestation sonore, surtout dans les tonalités graves. La pratique vocale primitive rudimentaire consiste en l'émission des voyelles a, o, ou le fredonnement, bouche fermée, sur mm ou sur hm : les peuples de la préhistoire devaient en faire usage instinctivement, en particulier en milieu acoustique privilégié où le moindre son, même émis faiblement, s'intensifie ou se prolonge. Les intervalles consonants tels que l'unisson, la quarte ou la quinte – /la ou /sol – devaient être à la base des mélodies les plus simples, établies sur l'ambitus le plus réduit. Grâce à la résonance et aux harmoniques renvoyés, ces sons prenaient une ampleur plus étoffée et une couleur particulière selon la conformation des lieux; cette répercussion des sons servait également à guider la voix qui cherchait à les reproduire et élargissait de ce fait l'ambitus initial.

Les voix graves suscitent une résonance plus profonde et plus spectaculaire et, de ce fait, le choix des sons produits par les premiers instruments s'est fait sur le même modèle. Leur sonorité reproduisait de préférence une voix grave ou une voix amplifiée, telle la renvoyait la grotte. On a donc dans les deux cas un phénomène de dédoublement de la voix, à la fois celle émise naturellement par l'homme et renvoyée par l'environnement, puis celle reproduite par l'instrument, créé pour tenter de capturer cette voix « autre » et la maîtriser. Le principe de la résonance étant acquis, compris et utilisé par l'homme primitif, il lui restait à adapter cette loi physique à d'autres éléments matériels.

Ce dédoublement lui-même, en impliquant l'appel et la réponse, permet une distance vis-à-vis de l'humain et de sa condition, qui conduit à une dimension spirituelle. En tâtonnant dans les corridors obscurs des cavernes, l'homme préhistorique a exploré le son non seulement dans sa dimension acoustique, mais aussi selon l'effet des vibrations sur le corps tout entier et, à travers lui, sur l'état d'âme.

Fort de sa compréhension du phénomène sonore, il a pris conscience du pouvoir créatif contenu dans le son, : en reproduisant en images les animaux environnants, il leur a inculqué une voix, les rendant vivants et tangibles, il les animés tout en les mettant à sa portée et en son pouvoir. Il a compris que tout ce qui vibre ou que l'on fait vibrer est doué de vie et s'est ingénié à exploiter ou créer des objets vibrants mais aussi des lieux où vibre la voix, communiquant ainsi directement avec une dimension supranaturelle, extérieure à lui ou avec celle qu'il pressent en lui-même.

La caverne devient ainsi un véritable temple de pierre, naturel, en son état primitif, façonné par les forces telluriques, avec lesquelles l'homme pouvaient surement d'autant plus facilement se connecter en utilisant la répercussion des sons émis par l'instrument vocal ou musical sur les parois de son sanctuaire, offert par la mère terre...



Les orgues de pierre

Parmi les témoignages qui subsistent de la recherche sonore des hommes de la préhistoire figurent des fragments de matériaux tels que la pierre, les os, les coquillages — la peau, comme les matières végétales n'ayant bien évidemment pas perduré. Ces vestiges découverts dans des grottes ornées d'animaux et de signes divers permettent de recomposer

modestement — l'instrumatarium préhistorique, en tant que premières manipulations en vue de produire des sons. Tout comme certaines cavernes, par leur qualité acoustique, jouent le rôle de caisse de résonance naturelle, certaines architectures minérales, en particulier les orgues de stalactites ou de stalagmites et les draperies de calcite, constituent, par leur mise en vibration, des idiophones naturels.

Plusieurs sites archéologiques, dont la galerie Régnault au Portel, montrent des alignements plus ou moins réguliers de culots stalagmitiques, témoignages de brisures datant de l'homme de Cro-Magnon; le même phénomène ayant été observé régulièrement, on peut penser qu'il s'agissait d'un geste rituel assez courant, en vue de produire des sons fracassants comparables au tonnerre. Dans plusieurs cas, il semble d'ailleurs que les hommes n'aient pu parvenir à briser ces colonnes de pierre, qui portent encore l'impact étoilé de chocs.

Certaines roches, formées de concrétions de calcite en draperies, peuvent servir de lithopones naturels particulièrement sonores dans l'espace d'une caverne - leur vibration a fait l'objet de recherches précises, a partir de l'évaluation des fréquences élémentaires qu'elle produisent après percussion. On a pu constater que les draperies les plus sonores sont souvent entaillées et cassées, ayant servi de point de frappe préférentiel. Ces différents points de frappe une fois définis, leur périodicité et leur enchaînement peuvent créer des mélodies privilégiant un aspect rythmique instinctif.

Ces lithopones ne portent pas tous des traces de percussion, tous sont situés à proximité de représentations pariétales.

[...] 


Grotte, temple de la Terre, en toi nous écoutons le silence de ton mystère, et entendons ta sagesse qui nous imprègne corps et âme...Miroir de notre humanité, mémoire de nos ancêtres, humilité...




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