Les grottes de nos ancêtres des temps préhistoriques sont loin de nous avoir révélées tous leurs secrets, et de découvertes en découvertes leur mystère grandiose se soulève parfois un peu plus, comme un témoigne les études paléontologiques sur La dimension sonore des grotte ornées.
Le son fût le premier instrument de communication et de relation entre les hommes et c'est à partir de l' étude de son utilisation dans les grottes que s'établit l'origine de l'utilisation des grottes comme instruments sonores à part entière:
Quelques extraits de l'ouvrage:
[...]
Le son, si tant est qu'on puisse
en définir l'origine a d'abord permis aux premiers hominidés d'évaluer les
distances, que ce soit par la voix seule ou par d'autres moyens de la relayer,
jouant des phénomènes d écho et de résonance. Prendre ainsi conscience du
pouvoir et de la portée de sa propre voix et de ses modulations en fonction de
1'espace environnant a déterminé des choix de matériaux et de formes adéquates.
Sans doute l'imitation de sons
naturels, de cris animaliers constituait-elle le tout premier répertoire «
musical » humain, dénotant une volonté d'agir sur l'ordre naturel. La relation
à 1'animal et la place de celui-ci en tant qu'entité protectrice approchée par
la magie et la danse sont restées au long des siècles presque inchangées, du
moins pour des groupes sociaux appréhendant encore nature et animaux avec respect,
dans une relation d'échange et non de domination stérile.
En outre, les instruments primitifs
s'offraient eux-mêmes comme déjà prêts dans la nature, soit à l'état brut, soit
façonnés par un quelconque phénomène : plumes creuses, sifflets en phalanges
d'animaux, conques parois de stalactites composant des orgues, etc.
[...]
C'est à l'issue dune longue et
patiente exploration des sons à travers 1'opposition des timbres et leur accouplement
d'abord par la voix et la recherche d'harmoniques dans la cavité buccale, puis
en les sélectionnant selon la longueur d'une anche flexible ou dune corde, que
s'établit un dispositif de résonance : les doigts en viennent à relayer la
bouche pour explorer les intervalles, susciter la répétition, reconnaître 1'octave.
Dès que se diversifient les cordes, la pensée musicale s'élabore, ou du moins
la pensée elle-même devient autre: elle prend, par la grâce des sons un envol
qui remmène vers l'inspiration – révélation dune voix autre, sublimée par la
musique créée, qui, venue de l'âme, s'adresse à l'âme.
Une fois conçu l'instrument,
cette sorte de double de soi cet obier composite nourri de tradition, l'évolution
se fait par comparaisons, perfectionnements et diversifications successives,
avec une force d'autant plus grande que ce médium instrumental permet de
traduire la pensée en quelque chose d'autre –visible, palpable et audible.
Dès lors se révèle possible pour
l'homme le dialogue avec cet interlocuteur inventé de toutes pièces, à force d
ingéniosité: cette chose vivante, née de lui et en dehors de lui, répond enfin
à la voix, au premier cri aux tâtonnements et aux inventions, par l'éveil du
chant : il a suscité la musique dans le cœur de l'homme.
Ainsi commence à prendre forme l'élaboration d'une musique des cavernes que nos lointains ancêtres - et pourtant si proches- nous ont transmis avec leurs grottes et la possibilités de recréer l’expérience sonore qu'ils découvrirent et élaborèrent en ces lieux, tel des sanctuaires magiques.
[...]
La musique des cavernes
L'homme préhistorique aura, dès
les origines, perçu de façon impressionnante ce phénomène de résonance dans les
cavernes où il évolue : en ce lieux d'absolu silence et de totale obscurité, où
le seul bruit de l'eau qui goutte se répercute de façon démesurée, on imagine
l'effet que devait produire la voix, humaine ou animale, amplifiée par cette
caisse de résonance minérale. Les grottes ne sont-elles pas comme d'immenses
tuyaux sonores, dont les voûtes naturelles évoquent parfois, par leur
acoustique, une chapelle romane? L'homme des cavernes vivait dans des lieux sonores
privilégiés que l'on peut considérer comme les premiers instruments de musique
dont ait disposé l'être humain, instruments mis à sa disposition de façon naturelle,
avant qu'il ne déploie son ingéniosité dans des manipulations en vue de
création sonore.
Des expériences acoustiques
récentes, menées à l'initiative de Iégor Reznikoff, démontrent en effet que les
peintures et les graphismes pariétaux sont le plus souvent liés à ces
phénomènes de résonance. On a pu ainsi établir une incidence du son sur l'image
qui, loin d'être un graffiti placé au hasard, selon la fantaisie de son auteur,
apparaît bien comme un signe codé avec précision, établissant des zones
privilégiées en rapport avec l'écho, parfois au moyen de traits ou de
pointillés émanant de la bouche de la personne ou de l'animal représenté. Cette
corrélation entre le son et le signe peut remonter dans le temps jusqu'au au
Moustérien du Paléolithique moyen, époque de l'Homo sapiens neandertalensis, soit quelque 100 000 ans.
Ainsi continue la découverte d'un monde extraordinaire, celui de l'utilisation des grottes comme instrument de musique dans lequel l'homme évolue, devenant une partition au sein d'un matrice qui l'enveloppe et lui renvoie en miroir les notes qu'il émet, entamant ainsi des possibilités d'explorations vibratoires probablement incommensurables...
Trois grottes de l'Ariège –
celles de Niaux, du Fontanes et du Portel – ont fait l'objet d'une véritable
investigation sonore, comme on explore un instrument de musique, découvrant ses
propriétés et sa tessiture. Ces expériences ont porté principalement sur la
durée et l'intensité des sons, et plus généralement sur la modification de la résonance,
en fonction de leurs points d'émission.
Si la grotte du Fontanes présente
des données sonores trop peu différenciées pour être signifiantes – son entrée
d'origine a été obstruée par des éboulis tardifs et postglaciaires, faisant
d'un conduit ouvert un conduit fermé –, la grotte du Portel, constituée de
trois galeries indépendantes, et celle de Niaux, particulièrement vaste,
rendent un ensemble de résultats assez clairs. La configuration de ces
cavernes, à quelques exceptions d'aménagements près, est restée inchangée
depuis l'âge paléolithique — même si des variations dans l'épaisseur des parois
ou au niveau du sol, dues aux dépôts de sédiments, ont pu intervenir, modifiant
la hauteur sonore mais non la répartition des fréquences. On peut donc
considérer que la résonance de ces grottes est restée pratiquement aujourd'hui
telle qu'elle se présentait à l'époque où elles furent habitées et décorées.
Les études acoustiques
entreprises se sont faites à la voix, sans qu'il ait été besoin de la pousser,
restant dans un ambitus restreint d'une quinte. Il s'agit donc d'une vibration minimale,
émise par le corps et décuplée par la résonance propre à la grotte, rendant des
harmoniques selon les fréquences émises. Ce parallèle entre la vibration du
corps et celle de la grotte est essentiel puisque
c'est l'homme qui se place comme élément central de l'expérience, prenant la
caverne comme résonateur. Selon sa configuration, la grotte impose certains
types d'émission vocale, la résonance se répercutant dans le corps humain soit
au niveau du crâne, soit au niveau de la poitrine, ce qui conduit le chanteur à
se contenter parfois d'un souffle ténu, l'écho harmonique sur la quinte tenant
lieu de repère pour la note fondamentale.
Une fois établie une sorte de
carte de résonance de la grotte, grâce à des repères placés le long de la
paroi, on remarque que les modifications sonores enregistrées correspondent à
une alternance de nœuds et de ventres acoustiques, selon la conformation des
lieux. Comme tout instrument de musique, la forme
même de la grotte influe directement sur ses propriétés acoustiques. Plusieurs
facteurs entrent en ligne de compte : d'une part la sonorité propre au boyau,
avec une note fondamentale dominante, comme c'est le cas en certaines galeries
– chaque grotte a sa propre tonalité: certaines sonnent en ré, d'autres en la, ou bien encore en plusieurs tonalités: d'autre part un réseau
complexe de résonances, présentant des variations assez importantes – de
l'ordre de cinq à six secondes en certains endroits, d'une durée beaucoup plus
brève ailleurs–, selon que la résonance vibre de façon spectaculaire ou qu'elle
reste plate. Il s'agit là non pas d'écho, mais d'amplification du son en
intensité ou en durée.
Au regard de ces fascinantes découvertes, nous ne pouvons qu'imaginer les expériences auxquelles pouvaient se livrer les hommes préhistoriques dans ces entrailles de la terre mère, les possibilités d’explorations pour induire des changements d'état de conscience, de projection de conscience, de guérison, utilisant la synergie du son avec l'image peinte sur les parois, amplifié par l’éclairage subtil des lampes à huile animant les motifs peint en utilisant le relief de ces parois. Ainsi naquit la grotte sonore...
La grotte sonore
La carte des résonances distingue
ainsi un certain nombre de lieux favorables à l'émission ou au renvoi du son.
D'autres endroits se caractérisent par une modification ou une amplification
sonore allant jusqu'à la saturation acoustique. Enfin certaines zones, générant
ou prolongeant le son selon des longueurs précises, sont signalées comme étant
des vecteurs d'harmoniques. Il se trouve que les points sonores particuliers
ainsi repérés et notés sur un schéma acoustique de la grotte se superposent
étonnamment avec une carte établie à partir des données picturales.
La plupart des endroits
favorables à l'émission sonore correspondent en effet à la proximité d'une
image peinte sur la paroi. En des lieux particulièrement privilégiés pour leur
sonorité comme la niche du Camarin de la galerie Breuil, au Portel, le moindre
souffle émis résonne de telle façon qu'on est induit à produire des sons
graves, semblables à des meuglements, qui retentissent dans toute la galerie de
façon impressionnante : or les décors de cette niche sont aussi exceptionnels
que les sons qui en émanent, rassemblant en ce seul lieu la figuration de la
plupart des espèces représentées dans la grotte. A contrario, le reste de la galerie
Breuil présente de nombreuses niches à la fois sans résonance et sans figures
ni signes.
Un autre endroit privilégié se
trouve à l'extrémité de la galerie Régnault, d'où résonnent toute la galerie
dans son ensemble – là où sont figurés des chevaux sur la paroi – et la galerie
suivante sur plus de cent mètres où s'accumulent les représentations.
Une question se pose : ces parois
ont-elles été choisies en vertu des qualités acoustiques de leur emplacement,
afin de valoriser l'image par le son, ou le son en lui-même était-il
suffisamment important pour donner lieu à une image? Si les deux hypothèses ne
s'excluent pas l'une l'autre, l'incertitude demeure. Restent les endroits où
les marques sur les parois ne peuvent correspondre qu'à des données sonores :
on a ainsi pu déterminer des points acoustiques signalés sur la paroi en
fonction du son – l'expérience se faisant à 1'aveugle, dans le noir, avec le
seul son pour guide, afin de déterminer les emplacements sonores supposés,
emplacements que l'on retrouve effectivement marqués, souvenu par un simple
point rouge lorsqu'une figure plus grande n'est pas envisageable.
Un plan détaillé a été établi de
la grotte du Portel, situant avec précision les lieux sonores et les marques,
points et images qui y correspondent, avec le descriptif complet des
différentes galeries – Jeannel, Jammes, Régnault et Breuil. Parmi les animaux
représentés dans la galerie Jeannel, on note la présence d'une chouette qui
apparaît à l'issue d'un couloir rectiligne où prédominent le la, correspondant à l'image d'un bison,
puis le sol, marqué par des bâtonnets
courts et des ponctuations noires, à nouveau le la, signalé par la chouette,
suivi d'un sol avec la figuration
d'un cheval et une dernière fois un la
avec un boviné : la succession des dessins suit donc l'oscillation la-sol-la-sol-la.
Comment nos ancêtres de ces temps lointains interprétaient-ils ces expression sonores sortant d'eux mêmes, et par résonance, des parois des galeries? Ce qui pour nous est interprété en terme de notes définies selon une gamme établie par notre science musicale, comment eux-mêmes vivaient-ils ces sons, quel sens avaient pour eux ces notes, ce que nous appelons notes, mais qui peut-être pour eux étaient de véritables entités sonores, vibratoires, peut être pouvaient-ils dans la pénombre de ces galeries percevoir, voir, les fréquences en terme énergétique, l'énergie, la présence vivante de ces vibrations, entités-son.Comment les expérimentaient-ils en leur âme et conscience, en leur corps et leur psychisme? Y avait-il une logique dans l'émission et de ces notes, pouvaient-ils déjà identifier ces notes de tel sorte qu'ils pouvaient établir une gamme, ou élaborer un connaissance de ces notes comme nous l'avons actuellement? Quel pouvoir le son pouvait-il bien avoir pour l'associer à des représentations d'animaux? Quel mystère et quels secrets ne percera-t-on jamais un jour face aux découvertes de ces lieux de résonance? La grotte paléolithique aurait-elle encore des dimensions qui nous échappent, des niveaux d'utilisation encore plus subtile et magique? L'intuition du chercheur, de ceux et celles dont leurs fibres savent s'imprégner et vibrer avec ces lieux et leur mémoire saura trouver en soi la sacralité de ces lieux et le pouvoir dont ils sont le vecteur pour qui sait en écouter la force intemporelle de leur mystère...
Dans la galerie Jammes, à
l'entrée de la galerie des Chevaux, l'apparition de la résonance la, quinte supérieure du ré, note fondamentale de cette galerie,
est marquée sur la gauche par une ponctuation rouge et sur la droite par la
figuration d'un petit cheval, rouge également. Un panneau représentant cheval,
capriné et cervidés correspond au passage au sol en progressant vers le fond de
la galerie, jusqu'à un nœud sonore essentiel situé dans un espace central de résonance
où sont visibles un grand signe rouge, un cheval anamorphosé et un personnage
ithyphallique. Des ponctuations rouges et des figures multiples décorent le
fond de la galerie, où domine la résonance ré
à l'octave supérieure; cette résonance se prolonge sur 115 m, jusqu'à la
galerie Jeannel, où elle prend fin nettement devant la représentation de la
chouette. Les lieux de résonance sont justement ceux où se concentrent les
peintures : des relations harmoniques d'octave ou de quinte relient les divers
points sonores et les peintures pariétales, exception faite d'une tierce (fa dièse) figurée dans une niche par le
dessin d'un poisson, animal rare dans l'art rupestre.
Les recherches effectuées ont pu
aussi déceler l'existence de « portes » sonores — comme celle qui est marquée
par la chouette, animal doté comme l'on sait d'une ouïe extraordinaire —
ouvrant des espaces d'images à leur suite. Sans doute faudrait-il se pencher
sur le rôle symbolique de ces figurations animales par rapport aux résonances
qui s'y perçoivent.
En ce qui concerne la galerie Régnault,
les résonances ne commencent qu'à partir de la première alcôve dans laquelle
apparaissent les premières images : des animaux acéphales correspondent à
l'émergence du mi, un cervidé
acéphale coïncide avec l'apparition du fa,
puis un bison tombant et une tête de bovidé avec celle du si. Plus loin, un goulot étroit résonne en ré de façon prolongée ; là, sur la voûte, on distingue un point
rouge qui ne peut être qu'un signe spécifiquement sonore. Vers le fond, lorsque
la galerie se resserre, les figurations se succèdent au rythme d'un autre
réseau de résonances : le ré et le sol sonnent particulièrement, jusque dans
la galerie Jammes, et tout spécialement devant le personnage ithyphallique. On
remarquera, en ces lieux de forte résonance, la présence de nombreuses figures
anthropomorphes.
Les mêmes investigations, menées
à Niaux, ont également prouvé que les lieux particulièrement sonores
correspondent à des images, certaines marquant de façon significative des
emplacements où le son perdure pendant plusieurs secondes. On peut donc en
conclure que le choix des emplacements de figures semble avoir été fait cri
grande partie en fonction de la valeur acoustique de ces emplacements. En
effet, des parois entières restent parfois vides lorsque l'espace
correspondant, si vaste soit-il, ne résonne pas. À l'inverse, des lieux de
résonance sont marqués et peints même si leur configuration ne s'y prête que
difficilement.
La grotte devait être ressentie
par ces hommes de la préhistoire comme un organisme vivant, a fortiori si
l'espace était exploré dans la pénombre. Cette dimension surnaturelle des lieux
devait être perçue à travers l'impressionnant retentissement de la caverne,
puis soulignée par l'image qui devenait alors évocation de l'entité représentée
et procédé magique, de par sa présence suscitée en ces deux dimensions.
N'est-ce pas fascinant, interpellant, excitant, toutes ces possibilités offertes à nos ancêtres avec leur voix et l'étude si précise et subtile de l'évolution du son au contact des parois des grottes? Seuls ou à plusieurs, probablement placés en différents points, explorations sonores, chants d'extase, de partage, ou de guérison, et qui sait, bien plus encore peut être, pour peu que l'on mette cet univers sonore des cavernes rendu vivant et vibrant par l'homme en corrélation avec les pratiques chamaniques, les états modifiés de conscience maîtrisés dans certains tribus, ou ayant nous même éventuellement fait l'expérience du pouvoir-son sur notre énergie, notre conscience à travers différentes techniques s’inspirant du chamanisme, utilisant la voix, le tambour, le didgeridoo, la rhombe, la guimbarde ...
La voix et son double
Sans doute les populations du
Paléolithique ont-elles expérimenté ces phénomènes de résonance à la voix, dont
les vibrations perdurent mieux que toute autre manifestation sonore, surtout
dans les tonalités graves. La pratique vocale primitive rudimentaire consiste en
l'émission des voyelles a, o, ou le fredonnement, bouche fermée,
sur mm ou sur hm : les peuples de la préhistoire devaient en faire usage instinctivement,
en particulier en milieu acoustique privilégié où le moindre son, même émis
faiblement, s'intensifie ou se prolonge. Les intervalles consonants tels que
l'unisson, la quarte ou la quinte – ré/la ou ré/sol – devaient être à
la base des mélodies les plus simples, établies sur l'ambitus le plus réduit.
Grâce à la résonance et aux harmoniques renvoyés, ces sons prenaient une
ampleur plus étoffée et une couleur particulière selon la conformation des
lieux; cette répercussion des sons servait également à guider la voix qui
cherchait à les reproduire et élargissait de ce fait l'ambitus initial.
Les voix graves suscitent une
résonance plus profonde et plus spectaculaire et, de ce fait, le choix des sons
produits par les premiers instruments s'est fait sur le même modèle. Leur
sonorité reproduisait de préférence une voix grave ou une voix amplifiée, telle
la renvoyait la grotte. On a donc dans les deux cas un phénomène de dédoublement
de la voix, à la fois celle émise naturellement par l'homme et renvoyée par
l'environnement, puis celle reproduite par l'instrument, créé pour tenter de
capturer cette voix « autre » et la maîtriser. Le principe de la résonance
étant acquis, compris et utilisé par l'homme primitif, il lui restait à adapter
cette loi physique à d'autres éléments matériels.
Ce dédoublement lui-même, en
impliquant l'appel et la réponse, permet une distance vis-à-vis de l'humain et
de sa condition, qui conduit à une dimension spirituelle. En tâtonnant dans les
corridors obscurs des cavernes, l'homme préhistorique a exploré le son non
seulement dans sa dimension acoustique, mais aussi selon l'effet des vibrations
sur le corps tout entier et, à travers lui, sur l'état d'âme.
Fort de sa compréhension du
phénomène sonore, il a pris conscience du pouvoir créatif contenu dans le son,
: en reproduisant en images les animaux environnants, il leur a inculqué une
voix, les rendant vivants et tangibles, il les animés tout en les mettant à sa
portée et en son pouvoir. Il a compris que tout ce qui vibre ou que l'on fait
vibrer est doué de vie et s'est ingénié à exploiter ou créer des objets
vibrants mais aussi des lieux où vibre la voix, communiquant ainsi directement
avec une dimension supranaturelle, extérieure à lui ou avec celle qu'il
pressent en lui-même.
La caverne devient ainsi un véritable temple de pierre, naturel, en son état primitif, façonné par les forces telluriques, avec lesquelles l'homme pouvaient surement d'autant plus facilement se connecter en utilisant la répercussion des sons émis par l'instrument vocal ou musical sur les parois de son sanctuaire, offert par la mère terre...
Les orgues de pierre
Parmi les témoignages qui
subsistent de la recherche sonore des hommes de la préhistoire figurent des
fragments de matériaux tels que la pierre, les os, les coquillages — la peau,
comme les matières végétales n'ayant bien évidemment pas perduré. Ces vestiges
découverts dans des grottes ornées d'animaux et de signes divers permettent de
recomposer
modestement — l'instrumatarium préhistorique, en tant
que premières manipulations en vue de produire des sons. Tout comme certaines
cavernes, par leur qualité acoustique, jouent le rôle de caisse de résonance
naturelle, certaines architectures minérales, en particulier les orgues de
stalactites ou de stalagmites et les draperies de calcite, constituent, par
leur mise en vibration, des idiophones naturels.
Plusieurs sites archéologiques,
dont la galerie Régnault au Portel, montrent des alignements plus ou moins
réguliers de culots stalagmitiques, témoignages de brisures datant de l'homme
de Cro-Magnon; le même phénomène ayant été observé régulièrement, on peut
penser qu'il s'agissait d'un geste rituel assez courant, en vue de produire des
sons fracassants comparables au tonnerre. Dans plusieurs cas, il semble
d'ailleurs que les hommes n'aient pu parvenir à briser ces colonnes de pierre,
qui portent encore l'impact étoilé de chocs.
Certaines roches, formées de
concrétions de calcite en draperies, peuvent servir de lithopones naturels particulièrement
sonores dans l'espace d'une caverne - leur vibration a fait l'objet de
recherches précises, a partir de l'évaluation des fréquences élémentaires
qu'elle produisent après percussion. On a pu constater que les draperies les
plus sonores sont souvent entaillées et cassées, ayant servi de point de frappe
préférentiel. Ces différents points de frappe une fois définis, leur périodicité
et leur enchaînement peuvent créer des mélodies privilégiant un aspect
rythmique instinctif.
Ces lithopones ne portent pas
tous des traces de percussion, tous sont situés à proximité de représentations
pariétales.
[...]
Grotte, temple de la Terre, en toi nous écoutons le silence de ton mystère, et entendons ta sagesse qui nous imprègne corps et âme...Miroir de notre humanité, mémoire de nos ancêtres, humilité...