ESPRIT SHAMAN
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Les images se multiplient, fugaces et vives,
Insaisissables demeures des richesses éternelles
D'un esprit qui contemple loin du temps
Tous les mondes possibles
L'Esprit Shaman
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Le chamanisme, il faut le créer, l'inventer. Il n'existe pas en tant que formule, en tant que temple, en tant que système. C'est une réanimation permanente du vivant.
Luis Ansa, le Secret de l'Aigle

.L'homme succombera, tué par l'excès de ce qu'il appelle la civilisation. J. H. Fabre



LE RITUEL DES DIEUX SERPENTS



Extraits du textes « Le Chants de Pullavan », (Kerala, Inde du sud), de Laurent Aubert. 

Les Pulluvan et leurs épouses les Pulluvatti sont les spécialistes de rituels de possession et d'exorcisme appelés pampin-tullal ou sarp­pan-tullal (littéralement : «tremblement de serpents»), regardés comme particulièrement efficaces pour faire face aux pouvoirs éminem­ment ambigus des nâga. Leur rôle lors de ces rituels concerne d'abord ce qu'on appelle le kalam-ezhuttu-pâttu, littéralement «tracé et chant de l'aire», qui consiste en la réalisation d'une image (kalam) de poudres colorées re­présentant des nâga – généralement en nombre pair – accompagnée de chants (pâttu) qui leur sont adressés. Cette phase est suivie de celle de l'effacement du kalam, puis de la séance de possession proprement dite, au cours de laquelle une ou plusieurs femmes appelées pi­niyâl vont être habitées par l'esprit d'un nâga, qui va bénir l'assemblée et parfois proférer des oracles. Précisons que le tullal n'est pas une danse; ce terme signifie plutôt «tremblement», «saut», «bond» ou «agitation», en référence à l'aspect désordonné des mouvements des piniyâl lors de la possession.

De nombreux sanctuaires invitent les Pul­luvan à effectuer le pampin-tullal une fois par an, afin de maintenir le lien de dévotion et d'échange qui les unit aux déités ophidiennes. Ces rituels sont destinés à séduire les nâga dans le but d'écarter leur malédiction et de s'assurer de leur protection, notamment en ce qui concerne la santé des participants, leur descendance ou les récoltes à venir. Il arrive aussi que des séances soient spécialement commanditées en cas de calamité naturelle, d'épidémie,   de stérilité ou de conflit, lorsque ces fléaux paraissent dus à une malédiction. La durée du rituel est variable : le plus souvent, elle est d'une nuit, de la fin de l'après-midi à l'aube, parfois de trois, voire jusqu'à sept nuits consécutives, avec plusieurs possessions quotidiennes, comme à Mannarasala.

Lors de ces rituels, les Pulluvan chantent face à l'autel ou «bosquet aux serpents» (sarp­pa-kâvu) qui leur est dédié, lequel est souvent situé un peu à l'écart de ceux consacrés aux autres dieux et aux ancêtres. Leurs chants pro­pitiatoires s'appellent pâmpin-pâttu, «chants de serpents»; il en existe plusieurs types selon la phase de la séance à laquelle ils s'appli­quent : louanges descriptives (stuti) des dieux et des nâga, récits des mythes d'origine de ces derniers (nâgôlpatti), préceptes relatifs à leur culte (sarppa-shâstram), chants d'offrande (nêrccappâttu), de possession (tullal-pâttu), d'exorcisme (nâvêru), etc., jusqu'à la béné­diction finale (mangalam). Si la succession de ces différents chants respecte en principe un ordre relativement immuable lors d'un rituel, leur agencement peut toutefois varier selon les spécificités d'un sanctuaire ou les requêtes de ses responsables.

Comme signalé plus haut, les Pulluvan sont également chargés de réaliser les ma­gnifiques images des dieux-serpents appelées kalam. Ce terme, qui signifie littéralement «aire» ou «seuil», désigne la surface sur la­quelle, dans l'enceinte d'un sanctuaire, est tracée une image sacrée au moyen de poudres colorées, et, par extension, cette image elle-même. Face à l'autel dédié aux nâga, en un lieu préalablement purifié, le kalam est dessiné sur le sol, à l'abri d'une sorte de dais ou de pavillon temporaire érigé pour la circonstance, fait d'une structure de bambou ornée de fran­ges de feuilles de sont alors apportées aux nâga par un officiant (pûjâri) désigné par la famille commanditaire : la flamme d'une lampe à huile, un boisseau de riz et différentes nourritures végétales placées sur des feuilles de bananier.

Après une prière initiale à Ganapati, le dieu qui écarte les obstacles, et un prélude instrumental, les chants débutent à la lueur des lampes à huile, bientôt suivis du tracé du kalam. Celui-ci se présente sous forme d'entrelacs de serpents très complexes, qui font volontiers penser aux enluminures des manuscrits irlandais médiévaux. Les kalam des Pulluvan sont innombrables, à l'instar des nâga qu'ils représentent. Un des plus prisés est celui des «huit cobras» (asta-nâgam), aussi appelé «noeud de serpents» (sarppa-kettu), qui passe pour les synthétiser tous.

Lorsque le dessin est achevé, des offran­des sont à nouveau disposées sur le diagramme par le pûjâri afin d'attirer les nâga pour qu'ils investissent leur image : la séance de possession peut débuter. Les cheveux défaits, quelques femmes, en principe des jeunes filles vierges, s'apprêtent à devenir des piniyâl, des possédées. Elles se tiennent debout devant le kalam et commencent à trembler et à sautiller sur place, le regard exorbité et la respiration haletante : c'est le signe que les nâga sont en train de s'installer dans leur corps. À un moment donné, elles baissent la tête et se mettent à balayer le kalam de leur chevelure, de façon complètement désordonnée; puis elles s'écroulent sur l'image et se vautrent dans les poudres de couleurs, rampant comme des serpents et soulevant sur leur passage un nuage de poussière multicolore. Dès le moment où les piniyâl, investies de la présence des nâga précédemment logée dans le kalam, com­mencent à effacer le dessin, la musique cesse. Pantelantes, échevelées, les possédées expri­ment alors les volontés des dieux-serpents. À travers leur bouche, les nâga font savoir à l'assistances  s’ils agréent ou non le rituel et, le cas échéant, s'ils accèdent aux requêtes des sacrifiants. Une fois leur message énoncé, la possession doit cesser : le maître de maison et les Pulluvan aident l'esprit des nâga à quitter le corps des femmes, et le rituel se termine par une dernière série d'offrandes et un chant de bénédiction final.

« Le Chants de Pullavan », (Kerala, Inde du sud), de Laurent Aubert. 
EN LIEN: SUR LES TRACES DU SERPENTS
             KALAM





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